Et si le confinement nous invitait à visiter notre part obscure ?
« Connais-toi toi-même » : ce précepte inscrit sur le fronton du temple de Delphes correspond à une conviction profonde des philosophes antiques. Pour Aristote, notamment, la vie épanouie (eudaimonia) passe nécessairement par la connaissance de soi et par une grande vigilance dans le développement de nos vertus et qualités. Trop développé, le courage devient inconscience du danger. Trop peu, il devient lâcheté.
L’ombre n’est jamais loin de la lumière. Se connaître, c’est donc aussi connaître et reconnaître notre part obscure. Pour Carl Jung, cette part obscure correspond à tous les aspects de notre personnalité que nous ne voyons pas ou que nous ne souhaitons pas voir, car ils s’opposent à l’image idéale que nous nourrissons de nous-mêmes. L’ombre est « tout ce que nous avons refoulé dans l’inconscient par crainte d’être rejetés », estime Jung. Or, plus nous la dénions, plus elle se renforce et nous envahit.
Et la crise de la Covid sait bien animer cette part obscure. La pandémie, en nous installant dans un contexte d’insécurité sanitaire, nous fait perdre certaines de nos illusions et excite nos ombres, qui sont autant de mécanismes de défense.
Pour apprivoiser nos ombres, il est essentiel de les reconnaître. Dans la méthodologie Aristote, nous invitons à associer chacune des facettes de nos talents (les Personnages-Talents®) à ses ombres. Par exemple, trop aidant, trop complaisant, un « sage bienveillant » devient un sauveur manipulateur qui ne permet plus à l’autre de grandir par lui-même. L’ombre peut être aussi l’aspect refoulé d’une facette de nos talents, l’opposé que nous redoutons de montrer et que nous ne voulons surtout pas voir. Pour reprendre notre exemple, le sage pourrait ainsi être tenté par la place du gourou, qui prend un pouvoir sur l’autre.
L’ombre recèle donc une énergie puissante dont nous ne saurions nous passer. Plutôt que de la refouler, il s’agit d’apprendre à « danser » avec elle. De n’être ni « collé » à elle dans une fusion qui nous empêche même d’en prendre conscience, ni de la rejeter au plus loin de nous. Et si nous faisions nôtre ce proverbe bouddhiste : « Garde précieusement ton fumier, car c’est en l’étalant que tu feras grandir des fleurs » ?